Argentine

Une action emblématique
Grâce à NDH, la France a donné son cœur à l'Argentine

Le coup d'Etat en Argentine, en 1976, a choqué les Français. Venant après le coup d'Etat du 11 septembre 1973 au Chili contre l'Unité Populaire du Président Salvador Allende, cette atteinte à la liberté et à la démocratie était un avertissement aussi pour l'Europe.

A cette époque, en novembre 1977, était née une petite organisation dont la vocation n'était pas seulement de défendre, mais d'abord d'étendre les droits de l'Homme ; d'en conquérir de nouveaux : droit à la paix, droit à vivre dans un environnement sain, droits de l'Homme par rapport à la Science, droit au pluralisme culturel... Cette organisation s'appelait Droits socialistes de l'Homme avant de devenir Nouveaux Droits de l'Homme.

Face à la montée du fascisme dans les pays frères d'Amérique Latine, pouvait-on se désintéresser du sort de nos camarades qui arrivaient alors en Europe pour obtenir l'asile politique ?

En premier lieu, nous leur avons donné une assistance humaine fraternelle. Puis, ayant appris l'action des Mères de la Place de Mai à Buenos Aires, chaque jeudi, il m'est venu une idée aussi folle : faire la même chose, chaque jeudi, de 12 à 13 heures devant l'ambassade d'Argentine à Paris.

Photo d'une des 320 semaines de manifestation devant l'ambassade d' Argentine (1979) qui figure désormais au Parque dé la Mémoria à Bueno Aires

320 semaines de Manifestations

devant l'ambassade d'Argentine à Paris

La première manifestation eut lieu le 5 octobre 1978. Nous étions trois... De plus nous nous sommes trompés d'adresse. Notre rendez-vous était en réalité devant l'ambassade d'Uruguay.

La semaine suivante, un intellectuel, Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit nous a rejoints devant la bonne adresse. Nous étions cinq. Il y a eu un petit article et une photo dans l'hebdomadaire l'Express.

Notre aventure commençait. Elle ne devait s'arrêter que six années plus tard, parce que nous avions donné notre engagement d'honneur. L'aurions-nous fait si nous avions su d'avance la durée de ce combat ? Dieu seul le sait. Mais pas nous, même aujourd'hui. Nous l'avons fait en raison de l'amitié que nous nous ont donnée depuis les Argentins.

Alors, il fallait être « fou », comme les Mères que la dictature appelait les « folles ». La différence entre elles et nous, c'est que nous ne risquions pas notre vie. Ceci a été déterminant dans notre résolution. Nous ne pouvions pas faire moins qu'elles à Buenos Aires. Nous ne pouvions pas être des lâches à coté du courage de ces femmes.

A ce moment là, nous n'avions encore jamais parlé avec les Mères Argentines. Il n'y avait eu aucune concertation entre nous au préalable.

Les semaines ont passé... Nous étions dix, vingt, cinquante à manifester La presse française commençait à parler de cette action. D'autres personnalités nous ont rejoints : Marek Halter, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann...

Un jour, on nous annonça la venue de François Mitterrand...

François Mitterrand, l'amiral Sanguinetti, Lionel Jospin devant l'ambassade d' Argentine

La présence de François Mitterrand fut décisive. La presse était là. La télévision française diffusait enfin les images au grand journal télévisé de 20 heures. Nous devions continuer. Nous ne pouvions plus reculer.

François Mitterrand et Edith Cresson en soutien à l'action de Nouveaux Droits de l'Homme

Les Argentins réfugiés en France - que nous ne connaissions pas vraiment - ayant appris notre manifestation sont, à leur tour, venus chaque jeudi : la CADHU (Commission argentine des droits de l'Homme) dirigée par Rodolfo Mattarollo nous a rejoints. Des personnes individuelles comme le docteur Osvaldo de Benedetti, Miguel Guilbard, Hipolito Solari Yrigoyen, Omar Moreno...

L'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la peine de la Torture), Amnesty International, le Parti socialiste, l'Association des Français disparus en Argentine en Uruguay... ont aussi été de fidèles soutiens.

Marek Halter, Simone Signoret et Hipolito Solari Yrigoyen 

Désormais, il y avait des corps et une seule âme devant l'ambassade d'Argentine. Mais nous ne connaissions pas encore physiquement les Mères. Nous pensions à elles, bien sûr, mais surtout aux 30 000 disparus, probablement torturés. Il fallait donc poursuivre inlassablement. Parce que chaque semaine nous apprenions de nouveaux crimes, de nouvelles disparitions. Ce sont elles, les victimes, qui nous ont pris par la main et entraînés devant cette ambassade. « Je crois à la force de l'esprit » a dit François Mitterrand dans ses derniers vœux à son pays.

Portraits des Français disparus en Argentine

Nous nous sommes ensuite rapidement organisés. Chaque groupe apportait sa banderole. Nous portions des portraits de disparus avec leur nom, la date de leur enlèvement...

Arriva le premier anniversaire de notre manifestation, puis... la 100ème. Oublié le programme de notre organisation de conquérir de nouveaux droits de l'Homme. L'Argentine nous avait absorbés entièrement. Nous étions nous-mêmes devenus Argentins...

Une artiste de cinéma très connue, Marie-José Nat, se proposa de m'aider et m'invita pour me communiquer de nombreux noms, adresses et téléphones de personnalités…

Marcel Amont, Marie-José Nat et Yves Montand

La 100ème manifestation fut un succès médiatique : avec Marie-José, étaient venus Yves Montand, Simone Signoret, Delphine Seyrig ; le chanteur Marcel Amont. Les intellectuels (le philosophe Michel Foucauld, Bernard Kouchner) ; les politiques (Lionel Jospin, futur Premier ministre, Bertrand Delanoë, futur maire de Paris ; les futurs ministres de la Défense Paul Quilès, Alain Richard, Jean-Pierre Chevènement...) ; des écrivains comme notre si cher Julio Cortázar, Bernard-Henri Lévy, André Glucksman, Jean Elleinstein ; l'amiral Antoine Sanguinetti...

Bernard Kouchner, André Glucksmann, Jorge Semprun, Yves Montand, Michel Foucault, le Pr. Schwartzenberg et Marek Halter

Lionel Jospin et Bertrand Delanoë

Il faut savoir que depuis plusieurs semaines, la manifestation étant devenue une « institution ». Nous ne pouvions plus nous approcher de l'ambassade, protégée par la police. Nous devions rester à l'angle de la rue Cimarosa et de l'avenue Kléber, près de l'Arc de Triomphe. Seule une délégation pouvait aller sonner à la porte de l'ambassade pour déposer une liste de disparus et demander s'il y avait des nouvelles des personnes dont nous avions donné les noms le jeudi précédent. Hélas, il n'y eut jamais de réponse.

Un jour, nos amis argentins nous ont annoncé la venue en France d'une délégation des Mères de la Place de Mai avec Hebe de Bonafini. Celles-ci nous ont rejoints et ont visité notre organisation. Elles ont rencontré ces femmes qui, comme à Buenos Aires, manifestaient avec un foulard blanc sur la tête, portant le nom d'un disparu. Les Mères nous ont parlé ; elles nous ont dit qu'il fallait continuer car notre action était utile à leur cause. Que pouvions-nous faire, sinon poursuivre, jeudi après jeudi.

Le Fondateur de NDH Argentine avec les mères de la place de mai au siège de NDH à Paris

Même quand Noël et le Nouvel an étaient un jeudi ; même durant les vacances d'été, nous étions présents. Pour Noël, nous avons fait un sapin entouré de cadeaux pour les enfants disparus. Catherine Deneuve était avec nous en ce jour très froid. A treize heures, nous avons porté tous les cadeaux à l'ambassade pour que les militaires les leur transmettent. Ils ont été refusés. Nous sommes alors partis à la nonciature apostolique du Saint Siège puisque nous savions que le nonce connaissait bien l'Argentine où il avait été en poste. Nouveau refus. Nous avons alors lancé tous les cadeaux dans la cour.

Alain Krivine et Catherine Deneuve marquant le Noël devant l'ambassade d' Argentine

Une autre fois, le ministre argentin des finances est venu à Paris pour demander de l'argent à la France. Nous l'avons attendu devant le siège du patronat français. A sa sortie, avec le sénateur Parmentier, l'amiral Sanguinetti, le député Paul Quilès et des dizaines de camarades nous lui avons lancé des centaines de pièces de monnaie.

Il ne les a pas ramassées mais nous avons été emmenés par la Police. Quelle situation étrange d'être dans un fourgon de Police avec un amiral et des élus du peuple...

Nous allions doucement vers la 200ème manifestation... Il fallait auparavant élargir notre action au cas où elle devrait encore durer cent ans…

Gala exceptionnel au Palais des Congrès


Nous avons alors fait une soirée musicale exceptionnelle, au Palais de congrès en hommage aux Mères le 10 octobre 1980.

Un public ému...

Miguel Angel Estrella, libéré depuis quelques semaines des prisons d'Uruguay, toujours modeste, considérait qu'il n'était pas encore prêt à jouer en public. Il refusait. Mais, comme son cœur est plus grand encore que ses mains, il nous fit cependant l'honneur de jouer devant tout le monde, pour la première fois depuis sa libération. Un triomphe.

Tous les artistes ont accepté de nous apporter bénévolement leurs concours : latinos, comme les Quilapayun, le Cuarteto Cedron, les Guaranis... ou français, comme Guy Bedos, Alain Souchon, Georges Moustaki, Maxime Le Forestier, Julien Clerc, Marie-Paule Belle...

Exposition " L' Amérique latine à Paris " au Grand Palais


La fatigue se faisait sentir mais notre flamme brillait encore lorsque l'un d'entre nous eut une nouvelle idée folle : faire une exposition consacrée à la culture latino-américaine. C'est ainsi que, du 8 au 15 décembre 1982, sous le titre « L'Amérique Latine à Paris », « Les fruits de l'exil » nous avons organisé la plus grande manifestation culturelle latino-américaine jamais réalisée à Paris, au Grand Palais, sur les Champs Elysées.

Antonio Segui en fit l'affiche. Musique, littérature, arts plastiques... La France était devenue latino-américaine.

Les œuvres des Argentins côtoyaient celles des Chiliens, des Brésiliens, des Cubains, des Vénézuéliens, des Boliviens... Carlos Aguirre, Maria Amaral, César Andrade, Carlos Aresti, Carlos Atencio, Antonio Asis, Remo Berardo, Marta Boto, Carlos Carceres, Alberto Carlisky, Hector Cattolica, Rodolfo Krasno, Wifredo Lam, Julio Le Parc, Roberto Matta, Alicia Penalba (décédée accidentellement peu avant), Osvaldo Rodriguez, Luis Tomasello…

Plus de 150 artistes avaient répondu « présent ». Régis Debray écrivain-philosophe, conseiller du Président de la République vint en éclaireur. Jack Lang, ministre de la Culture, inaugura l'exposition avant la venue de Claude Cheysson, ministre des Affaires étrangères et de Lionel Jospin. Mais la plus grande surprise fut l'arrivée parmi nous de François Mitterrand lui-même, nouveau chef de l'Etat qui acheta plusieurs œuvres par solidarité.

Le Ministre de la Culture Jack Lang inaugure notre exposition 

Le Président de la République visite l'exposition